Banel & Adama, la poésie d'un amour contrarié chez les peulhs
Roméo & Juliette, Bah & Batourou (Finyè de Souleymane Cissé), Mrs Chan & Mr Chow (In the mood for love de Wong Kar-Wai)… Aujourd'hui Cinewax revient sur ces nombreuses histoires d’amour contrariées qui nous ont marqués au cinéma.
Ramata-Toulaye Sy vient inscrire un nouveau couple mythique au répertoire des amoureux transits: Banel & Adama.
Ramata Toulaye-Sy sur les marches du festival de Cannes, accompagnée de ses acteurs principeux Mamadou Diallo et Khady Mane
Un premier film en sélection officielle de Cannes 2023
Diplômée de la section scénario de la fémis (promo 2015), Ramata-Toulaye Sy signe Banel et Adama comme son scénario de fin d’études. Après avoir co-écrit deux long-métrages (Notre dame du Nil et Sybel), elle s’essaie à la réalisation en 2021 avec Astel. Ce premier court-métrage réunit déjà la recette de base de Banel & Adama: tourné en territoire et en langue peulh, magnifique photographie au service d’un style de narration poétique. Le récit de maturité de la jeune Astel a depuis glané des nominations et prix à travers le monde.
Touchés par la même grâce que Astel, Banel & Adama font sensation en débarquant sur la croisette dans la sélection officielle de 2023.
Traditions: Eux vs Nous
Unis sous le sceau du lévirat, cette tradition qui exige d’un homme d’épouser la veuve de son frère, Banel & Adama s’aiment d’un amour véritable qui suscite peu l'adhésion de leur monde
La culture peulh, conformément à la tradition africaine, met l’accent sur le collectif. “L'homme n'est rien sans les autres” disait l’écrivain malien Seydou Badian.
Chaque individu doit être capable de réprimer ses passions pour l'intérêt de la famille, du clan et de la communauté toute entière. C’est à cette injonction que la famille et même le village veulent soumettre le couple. Si Adama finit par balbutier, l'irrévérencieuse Banel se mue en Lady Macbeth prête à tout pour construire leur monde à eux.
Un conte poétique porté par la majestueuse photographie D’Amine Berrada
Banel & Adama est loin d’être une simple fable d'amour contrariée. La sécheresse qui frappe le village et ses conséquences nous ramènent à des thématiques contemporaines comme le changement climatique et l’exode rural.
Le film se présente tel un conte à la fois lointain et contemporain. La seule certitude, on est dans un village peulh car aucune autre langue n’y est pratiquée. Le casting constitué d’acteurs non professionnels livre une performance impressionnante.
Mais assez vite, les lignes se brouillent entre le réel et l’esprit brumeux de l'héroïne. On est peu guidé par un scénario presque cryptique. La narration frôle l'expérimental avec beaucoup de métaphores qui échappent même au spectateur le plus investi.
Ce parti pris de la réalisatrice peut désarçonner tant on est habitué à comprendre voire aimer les protagonistes pour “entrer dans un film”. Mais étrangement, c’est ce choix qui nous marque d’un souvenir impérissable à la fin du film.
S’il est une chose qui marque de la première jusqu’à la dernière minute de Banel & Adama, c’est la beauté de sa photographie. Le directeur de photo Amine Berrada a su injecter dans chaque plan le réalisme magique tant voulu par la réalisatrice. Il s'y dégage quelque chose de mystique qui nous tient même quand le récit échappe à toute rationalité.
"Banel c’est votre sœur, votre cousine, votre pote et même votre tantine pas sympa. Encore moins cool. Mais croyez le, vous n’allez pas l’oublier de sitôt"
Banel, une anti-héroïne féministe à sa manière
Si la storyline du long-métrage paraît simple, il n’en est pas de même pour la caractérisation des personnages, en particulier celle de Banel.
La jeune femme s'inscrit dans la tendance actuelle qui fait la part belle aux anti-héroïnes. Toutefois, la réalisatrice refuse tout procédé visant à créer la moindre empathie pour Banel. Pas d’explication psychologisante, ni d'humour, ni même de physique avantageux. On peut comprendre une fleebag ou une Amy-Léa Sy (série Karma), mais avec Banel on galère. Elle rappelle les femmes revêches dépeintes par Marie N’diaye dans ses romans. Ni belle, ni extraordinaire, ni gentille, ni empathique, ni soumise. Elle craquèle les conventions d’une société corsetée qui lui refuse d’exister comme elle l’entend.
Banel c’est votre sœur, votre cousine, votre pote et même votre tantine pas sympa. Encore moins cool. Mais croyez le, vous n’allez pas l’oublier de sitôt
Banel & Adama est sorti le 30 Août 2023 dans les salles françaises.
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Rédaction : Rokia KONATE - pour Cinewax Media