Sikou Niakaté réalisateur du documentaire : "Dans le noir les hommes pleurent"
© "Dans le noir les hommes pleurent"
« Dans le noir les hommes pleurent », interroge les injonctions sociétales liées à la masculinité. Rencontre avec son réalisateur, Sikou Niakaté.
Cinewax : Comment t’es venu l’idée de ce documentaire ?
Sikou Nikaté : Comme je l’explique dans mon documentaire, tout a commencé à la suite d’une rupture amoureuse. Pendant cette relation, je m’étais un peu programmé à ne pas sortir de ces normes masculines, à les incarner, quitte à être en indélicatesse avec mon intimité profonde. C’est donc à la suite de cette rupture que je me suis dit qu’il ne fallait plus que je répète ce genre de schéma. Je ne pouvais plus ressentir cette douleur, surtout pour une attitude qui n’est pas celle qui me correspond. C’est à ce moment là je me suis dit qu’il fallait vraiment que je fasse un travail documentaire dessus.
C : Au vu des sujets délicats que tu abordes, quelles ont été les difficultés que tu as pu rencontrer pour réaliser ce documentaire ?
S.N : La première difficulté que j’ai eu a été lorsque j’abordais le sujet de la masculinité avec mes gars autour de moi. En fait, ça n’allait pas aussi loin que ce que j’espérais. Il fallait donc que je crée un contexte propice dans lequel j’allais pouvoir avoir des discussions sérieuses avec ces mecs, qui sont en réalité mes potes. Evidemment, avec le prisme de la réalisation d’un documentaire, c’était une manière de les piéger et de leur dire : « là vous allez devoir me répondre pendant deux heures, sans aucun échappatoire ». J’ai aussi rencontré des difficultés lors de l’élaboration du documentaire. Il fallait concevoir un questionnaire qui ne les brusque pas, tout en leur demandant de se mettre « à poil ». Pendant les échanges, il fallait que je réussisse à leur faire sentir que ce qu’ils disaient était légitime, qu’ils avaient le droit de le dire et qu’ils n’étaient pas fous de le penser. En fait, la difficulté a plus été dans la manière de concevoir le contexte dans lequel ils allaient être à l’aise et finalement dans lequel ils seraient fertiles.
« Finalement, qu’est-ce qu’être un homme ? Parce que je suis né avec un sexe masculin, que j’ai une pilosité… alors je dois avoir l’attitude qui corrobore mon physique ? » Sikou Niakaté
C : La masculinité est le thème principal du documentaire. Comment peux-tu relier cette notion à la lutte féministe ?
S.N : Je pense que c’est en fait totalement lié. Le féminisme, c’est l’idée de se dire que les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes. Je pense que le lien entre les deux, c'est plutôt le questionnement du patriarcat. C’est le fait de se dire qu’en tant que femmes, en tant que féministes, vous remettez en cause le patriarcat mais sachez que de notre côté, nous ne sommes pas les vainqueurs de ce patriarcat. Sachez que nous aussi il s’abat sur nous, que nous aussi il nous met en cage, nous aussi il nous pousse à avoir des postures, des comportements qui ne sont pas véritablement ceux qu’on aimerait avoir et incarner. Le patriarcat vous assigne autant qu’il nous assigne. Même si évidemment, on pourrait partir du principe que les hommes sont favorisés, je ne pense pas que ce soit le cas pour tous les hommes.
C : Ne penses-tu pas qu’il y’a un certain avantage lié au patriarcat ? L’Homme n’a t-il pas besoin d’être constamment régi par quelque chose ?
S.N : Je ne pense pas. J’ai plutôt l’impression qu’on est aujourd’hui dans l'ère où il y a une désacralisation de toutes les structures qui nous ont assignées à des rôles. Ça peut être les structures politiques mais aussi les religions. Il y’a de moins en moins de religieux et ça va de pair avec les injonctions de genre. Finalement, qu’est-ce qu’être un homme ? Parce que je suis né avec un sexe masculin, que j’ai une pilosité… alors je dois avoir l’attitude qui corrobore mon physique ? J’ai l’impression que pendant très longtemps les humains ont respecté les cadres, ont respecté ce qu’ils pensaient devoir incarner, la vie qu’ils pensaient qu’ils devaient avoir et que pendant très longtemps, on a eu des générations d’hommes et de femmes qui n’ont pas forcément été heureux. Je ne suis pas sûr qu’il faille des structures surplombantes qui nous façonneraient ou un comportement qu’on devrait avoir pour l’équilibre de la société. J’ai plutôt l’impression que l’équilibre de la société se fait à l’échelle de l’individu. Sache que tu peux être ce qui te convient le mieux, au fond tu peux être toi.
© "Dans le noir les hommes pleurent"
C : Ton documentaire n'évoque la masculinité que dans les milieux pauvres. Selon toi, comment s'exprime-t-elle dans des milieux plus favorisés?
S.N : Effectivement, l’aspect social est pour moi le plus important pour comprendre cette problématique. Lorsque je parle de masculinité, il y a celle qui est décrite dans mon film, mais la masculinité à un espèce de socle, celui d’être performant, de ne pas être dominé. Je pense que tu incarnes toujours la masculinité selon les armes que ton monde social te permet d’avoir. Dans les quartiers par exemple, tu vois des gars qui sont très impressionnants physiquement. Ils ne se posent pas de question sur le développement de leur patrimoine culturel, puisqu'il y a leur représentation physique qui est déjà une évidence de leur masculinité. A contrario, dans ces milieux privilégiés, le physique a beaucoup moins d’importance. Dans ces milieux, la masculinité s’exprimera au niveau de la performance économique, la rhétorique, ou culturellement parlant. En fait, j’ai l’impression que tu fais toujours ça avec l’habitude qui est propre à ton monde social.
C : Tu es passionné de cinéma depuis longtemps. As-tu toujours souhaité en faire ?
S.N : Oui, depuis assez longtemps. Là concrètement, je me lance sur des projets plus lourds. Sur une fiction, mais je préfère garder le secret (rires). J'ai aussi envie de construire une pièce de théâtre, toujours sur des thématiques qui vont me sembler urgentes et nécessaires.
C : Est-ce que tu aurais des conseils pour les futurs réalisateurs qui souhaiteraient auto-produire leur film ?
S.N : Il faut savoir que « Dans le noir les hommes pleurent », est un film sans aucune production, sans aucun fond. Je l’ai tourné en quelques jours et c’était pour ma pomme. Mais, j’avais toujours des plans où je louais des caméras pas très chères. Je louais pour un jour alors que j’en tournais trois... J'ai quand même tout fait seul. J’ai écris seul, tourné seul, monté seul. Il y a eu également celui qui a conceptualisé la musique et qui a fait un petit mixage sonore mais c’est tout. En fait, moi ce film-là je l’ai aussi fait tout seul parce que je devais saisir une intimité chez ces gars. De ce fait, avoir une équipe technique n’était pas possible. J’étais seul, avec ma caméra, chez eux, dans la rue. C’était une promenade, une déambulation, ça devait être dans l’intime. Un conseil que je pourrais donner à un réalisateur qui aimerait faire un documentaire; c’est de se demander s’il est nécessaire d’avoir une équipe technique. Il y a certains sujets qui ne nécessitent pas forcément un dispositif important, alors essaie d'y aller et de le façonner toi-même.
Interview réalisée par Cécilia Agnes-Keita