“Le corps poreux” de Sofia El Khyari, une jeune réalisatrice marocaine à découvrir
Nous avons rencontré Sofia El Khyari, la réalisatrice marocaine du court-métrage d’animation “Le corps poreux” disponible sur la plateforme OAFF.
“Le corps poreux” raconte l’histoire d’une femme à la recherche de son identité, qui, au contact de l’eau va plonger à la quête d’elle-même. Ce qui frappe d’abord, au premier visionnage, c’est l’univers visuel, la beauté du dessin à l’aquarelle et des prises de vues réelles. Le second visionnage permet de prêter attention aux sons, mélanges de paroles en arabe, de bruits d’eaux, de profondes respirations et de dialogues intérieurs. Et puis, quelque chose continue de nous captiver et de nous échapper à la fois. Cinewax a voulu rencontrer la cinéaste pour percer le mystère.
Cinewax : Comment est né le projet ?
Sofia El Khyari : J’ai d’abord eu des images mentales très fortes d’eau et d'éléments aqueux sans avoir vraiment analysé d’où elles pouvaient provenir. J’ai ensuite commencé à faire des recherches et à tester des matières. J’ai lu aussi énormément sur la femme et l’hydroféminisme. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que le sujet qui m'intéressait vraiment d’explorer, et qui pour moi reliait l’eau et le corps, c'était la notion de surface. La surface de la peau et la surface de l’eau, ce qui est au-dehors et ce qui est au dedans, et comment trouver une reconnexion avec l'élément. Souvent, les projets que je réalise commencent par des images très fortes qui viennent de mon inconscient, que j’essaie d’analyser pour savoir consciemment où je vais. Pour moi, l’art est un moyen d’explorer des thèmes, des émotions ou des sujets qui me tiennent à cœur et de les comprendre vraiment.
Cinewax : Dans le film, on a l’impression de percevoir la thématique du rapport aux origines. Il y a notamment des paroles en arabe en voix off. Est-ce une problématique que tu as voulu explorer dans ce court-métrage ?
SK : Je suis née et j’ai grandi à Casablanca jusqu'à mes 18 ans. Quand j’ai fait ce film, j'étais à Londres pour une formation à l’animation que j’ai suivi pendant deux ans. Et depuis que j’ai quitté le Maroc, j’ai toujours la nostalgie de mon pays. Pour moi, l’image de la mer est une image forte et indissociable de Casablanca, cela me rappelle mes origines. Dans le film, il y a cette idée de rapprocher la mer et la mère. Quand le personnage plonge sous l’eau, il y a des paroles en arabe que j’ai décidé de ne pas traduire. Mais si je résume ce qu’il se dit, ce sont les mots qu’une mère pourrait donner à son enfant. Ce sont des mots apaisants (“n’aie pas peur”, “donne moi la main, tout va bien se passer”). Lorsque le personnage principal plonge dans la mer, il y a une idée de retourner chez soi. D’ailleurs comme ce sujet est très personnel, j’ai pris volontairement quelqu’un qui me ressemble. Pour moi, il était important de mettre en scène une personne avec des caractéristiques physiques arabes ou méditerranéennes.
Photo de la réalisatrice Sofia El Khyari
Cinewax : Pourquoi avoir choisi d’appeler le film “Le corps poreux”?
SK : Le corps représente l’identité. Au début du film, dans la partie en aquarelle, le corps du personnage se fond avec le paysage. Cela accentue l’idée qu’elle est en perte de repères et d’identité. Elle est mélangée à tout ce qui est autour d’elle, car elle n'a pas les limites de son corps. Une fois qu’elle passe sous l’eau, elle redécouvre les sensations. Elle se reconnecte. Derrière cette image, il y a une idée presque méditative. Quand on est bloqué dans son espace mental, on est comme dissocié. Alors que, quand corps et esprit sont connectés, il y a un état d’apaisement. J’ai choisi de mélanger animation et prises de vues réelles pour jouer sur les limites du corps. Avec l’aquarelle, je pouvais mettre beaucoup d’eau et avoir des rendus très flous, et au niveau des émotions, avoir des choses de l’ordre de l’anxiété, de la peur etc. Alors qu’avec le live action, je pouvais arriver sur quelque chose de plus réel. À la fin du film, le live action accentue l’idée qu’elle retrouve enfin son corps.
Cinewax : Quelles techniques d’animation as-tu utilisé ?
SK : Il y a de l’aquarelle animée image par image. Il y a à peu près 3000 dessins. J’ai filmé du live, et j’ai aussi utilisé une technique appelée la pixelation qui permet de prendre image par image plusieurs photos. Cette technique a été utilisée sur les plans macros de la peau et dans une partie du film où l’on voit des taches d’encre se mouvoir. Il y a également du compositing sur ordinateur. C’est très complexe, car j’ai changé de techniques en fonction de ce que je souhaitais exprimer.
Cinewax : Quel travaux, d’autres artistes, t’ont influencés ?
SK : Je regarde beaucoup de court métrages d’animation qu’on ne peut hélas voir en général qu’en festival… J’aime beaucoup le travail de Marta Pajek qui réalise des oeuvres avec un travail sur le corps souvent dans des espaces immersifs. Je puise parfois mon inspiration dans l’art contemporain ou dans les installations, ou même dans la peinture. J’aime bien rechercher des atmosphères. Je trouve par exemple que le travail de David Lynch est très intéressant, car il crée vraiment des atmosphères particulières.
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Propos recueillis par Chloé Ortolé