Le FESPACO, Une affaire d’état(s)
Tour à tour utilisé comme outil du gouvernement, vitrine de l’Afrique francophone ou théâtre des revendications populaires, le Fespaco a toujours été influencé par les événements politiques du Burkina Faso. Dans “ Le Fespaco, une Affaire d’Etat(s)”, Colin Dupré dissèque les rapports étroits entre le célèbre festival de cinéma et le pouvoir politique.
La dernière édition du Fespaco, qui fêtait ses 50 ans en mars, a été lourdement critiquée. “Cette année, beaucoup se sont rendus compte de la politisation du festival, alors que cela a toujours été le cas” assure Colin Dupré. L’Etalon d’Or a été remis au film rwandais “The Mercy of the jungle” de Joël Karekezi, alors même que le Rwanda était le pays invité d’honneur pour cette édition. Et c’est encadré par le président rwandais Paul Kagame à sa gauche et par le chef d’état burkinabé Roch Marc Christian Kaboré à sa droite que le réalisateur a reçu son prix. Signe que les dirigeants politiques se partagent la vedette avec les artistes au sein du plus célèbre des festivals de cinéma africain. Les accointances qui ont toujours existé entre le festival et l’Etat seraient-elles aujourd’hui devenues trop évidentes?
Créé en 1969, le FESPACO est un Festival d’Etat depuis 1972. Son histoire a évolué au gré de celle du “pays des hommes intègres”. De manifestation artistique panafricaine née de la volonté d’une poignée de cinéphiles de montrer des oeuvres africaines aux Africains, il s’est mué très tôt en un enjeu majeur du pouvoir politique.
Sous Sankara, une vitrine de l’anti-impérialisme burkinabé
Le 4 août 1983, Thomas Sankara s’empare du pouvoir en Haute Volta. Il y restera quatre ans durant lesquels il renommera le pays le Burkina Faso, littéralement “le pays des hommes intègres”. Révolutionnaire, panafricaniste et très respecté par son peuple, Thomas Sankara laissera une marque indélébile pour les burkinabés et pour l’Afrique. Il sera assassiné en 1987 par un commando probablement organisé par son ami Blaise Compaoré, lui même supposément aidé par la France. Dès son arrivée au pouvoir, Sankara perçoit immédiatement le potentiel du Fespaco, qui servira alors de vitrine pour la promotion du régime anti-impérialiste du pays à travers le monde. Entre 1983 et 1987, le FESPACO devient ainsi indissociable du pouvoir en place. Les conférences politiques cohabitent avec les projections de films et les tables rondes sur l’industrie cinématographique. Imaginez le festival de Cannes qu’on utiliserait comme tribune pour plébisciter le gouvernement Macron!
“ Les nombreux témoins de ces éditions affirment qu’il était tout à fait possible et même très facile d’être au Fespaco, d’avoir un agenda très rempli pour le festival et en même temps de ne pas voir un seul film pendant toute la durée de celui-ci (...) tant les manifestations parallèles, les colloques, les débats et les activités étaient nombreux ” écrit Colin Dupré.
L’un des événements les plus significatifs de cette politisation du festival est la campagne de la Bataille du Rail, lancée en 1985. Thomas Sankara faisait alors la promotion d’un développement endogène, en encourageant la population à participer à la construction de grands chantiers comme les routes, les écoles ou les chemins de fer. Afin d’exprimer leur soutien aux doctrines sankaristes, certains cinéastes africains iront poser eux-même les rails reliant la ville de Ouahigouya à Bamako pendant le Fespaco cette année là.
Cela n’empêchera pas le festival d’attirer des spectateurs du monde entier. C’est même à ce moment qu’il va accueillir ces premiers invités de marque internationaux et s’ouvrir aux diasporas. Afro-américains, Brésiliens ou Cubains débarquent à Ouagadougou. Ce qui dans le cas des Afro-américains qui n’ont jamais posé un pied en Afrique donne lieu à des situations cocasses décrites dans l’essai. Finalement, le Fespaco ne retrouvera jamais le faste qu’il a connu à cette époque. Ainsi, comme le conclut Colin Dupré, “cet élan donné au Fespaco par la Révolution a permis de remettre au goût du jour certains de ses objectifs d’origine, à savoir être une manifestation populaire et panafricaine”.
Avec Blaise Compaoré : Le Fespaco au peuple
Suite à l’assassinat de Thomas Sankara et à l'arrivée au pouvoir de Blaise Compaoré, certains cinéastes restés très fidèles à l’ancien dirigeant du Burkina Faso vont boycotter le Fespaco. Son existence même sera ainsi remise en cause, alors que les invités internationaux peinent à se laisser convaincre de venir à l'édition 89. Blaise Compaoré est pourtant conscient que le festival est un véritable enjeu politique et tente dès l’année 1991 de le re-populariser.
Difficile, dans un climat politique très houleux, qui touchera à son paroxysme avec l’affaire Norbert Zongo, un journaliste contestataire retrouvé mort calciné dans son véhicule en 1999. Suite à la découverte d’impacts de balles sur la voiture, ce qui pouvait ressembler à un accident est vite interprété par le peuple comme un assassinat commandité par le gouvernement. Les manifestations populaires s’ensuivent durant des mois pour réclamer justice. Durant cette période d'extrême tension, il est plus que jamais crucial pour le gouvernement de redorer son image, et celle du Fespaco avec. Ainsi, pour son ouverture, le festival décide d’inviter le chanteur Alpha Blondy, à l’époque très populaire en Afrique.
Mais c’est finalement le peuple qui aura le dernier mot. Le jour du concert, devant 50 000 Burkinabés, le chanteur entonne la chanson “Les Imbéciles” dont les paroles sont comprises par le public comme une adresse directe au gouvernement. “ Cette chanson reprise en choeur est alors interprétée comme une attaque personnelle au Chef de l’Etat burkinabé ” décrit Colin Dupré. La situation dégénère, et la foule se met maintenant à crier “Assassin ! Assassin ! Blaise assassin !” se rappelle Abdoullaye Diallo dans “Fespaco, Une affaire d’Etat(s)”. L’édition de 1999 se solde donc par un incident diplomatique et une humiliation pour Blaise Compaoré qui ne se rendra plus à la cérémonie d’ouverture jusqu’en 2007.
Ces exemples des liens entre le Fespaco et le pouvoir politique sont loin d'être des anecdotes isolées dans l’histoire du festival. Colin Dupré les raconte toutes dans cet essai passionnant et très bien documenté. Le Fespaco sera peut être un jour séparé de l’Etat, mais il n’en est pas encore question aujourd’hui. Rappelons la cérémonie de clôture de l'édition 2013, lorsqu’Alain Gomis, lauréat de l’Etalon d’Or, s'était fait voler la vedette par Blaise Compaoré qui avait fait son entrée dans la salle en carrosse dorée en plein pendant le discours du réalisateur! L’édition de cette année nous fait espérer que le Fespaco reste un évènement artistique avant tout. Sachant que Paul Kagamé, président du Rwanda, a toujours nié la présence de son armée au Congo pendant la deuxième guerre du Kivu, on est étonné de le voir accompagner sur scène le lauréat dont le film a précisément pour point de départ la présence de soldats rwandais au Congo en 1998. Peut on en conclure que la politique n’empiète pas sur le festival ?
Paul Kagamé a peut être vu cet Etalon d’Or comme un outil de promotion pour le Rwanda. “ Pour le Burkina Faso, le Fespaco est un instrument de souveraineté nationale. A ce prix, l’Etat à travers les plus hautes autorités doit faire du Fespaco une préoccupation nationale” assurait Michel Ouedraogo, lors de la réunion de la Coordination de Prévention et de Proposition (CPP), tenue à Ouagadougou, le 30 avril 2010. Reste à savoir si les prochaines éditions continueront de suivre ces prérogatives.
Chloé Ortolé - Rédactrice Cinewax