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Maîtresse d’un homme marié : la série féministe "Made in Sénégal" qui défie le "male gaze"

Maîtresse d’un homme marié, produite par Marodi TV, est un nouveau pas pour le Made in Sénégal qui sort des représentations clichées des femmes sénégalaises et remet en cause les regards masculins et/ou extérieurs portés sur le Sénégal.

Khalimaa Gadji (alias Marème Dial)

Maîtresse d’un homme marié (MDHM), produite par Marodi TV, la plus grande chaîne privée au Sénégal et diffusée en différé sur Youtube, est un véritable succès qui dépasse le Sénégal. Elle totalise des millions de téléspectateurs et 2,5 millions d’internautes à travers la diaspora sénégalaise, l’Afrique francophone et le monde entier. C’est un nouveau pas pour l’industrie des séries TV au Sénégal qui, depuis les années 2010, connaît un plein essor du “Made in Sénégal”. 

La série met en scène le quotidien de six jeunes femmes sénégalaises de divers milieux sociaux, aux caractères et aux objectifs de vie différents. Leur point commun : vouloir réussir dans la vie et ne pas faire du mariage leur unique préoccupation, dans une société qui fait de l’union conjugale le principal indicateur de réussite pour les femmes

Au centre de la narration, Marème Dial [...]. Elle devient la maîtresse d’un homme, Cheikh Diagne, riche entrepreneur dans le bâtiment.

Au centre de la narration, Marème Dial, une femme revenue de la France au Sénégal pour travailler comme cadre dans une entreprise. Elle devient la maîtresse d’un homme, Cheikh Diagne, riche entrepreneur dans le bâtiment. Ce dernier est marié à Lalla Piem Ndiaye, épouse “parfaite” et designeuse de mode couronnée de succès. Mais au-delà de cette trame initiale se trouvent trois autres femmes puissantes : Djalicka Sagna, collègue de Marème Dial faisant face à la violence conjugale, Dior Diop, femme indépendante refusant son mariage forcé et Racky Sow, entrepreneuse évoluant dans le monde masculin du bâtiment.

La série est issue de chroniques d’abord publiées dans des groupes de femmes sur les réseaux sociaux par Kalista Sy qui dit[écrire] pour les femmes, pour leur montrer que c’est possible, pour les aider à construire une image très forte d’elles. Depuis, la série lui a valu d’être inscrite dans la liste de BBC des 100 femmes les plus influentes du monde entier.

Sortir des représentations stéréotypées des femmes sénégalaises

A l’écran sont montrées des femmes qui prennent leurs propres décision en toute autonomie et parviennent à tirer leur épingle du jeu, dans une société patriarcale qui tente de faire des femmes la propriété des hommes ou des belles-familles, selon l’écrivaine et blogueuse sénégalaise Ndeye Fatou Kane. La série remet radicalement en cause les représentations clichées des femmes africaines comme victimes d’abus sexuels, mourant de faim et soumises à leur mari, telles que mises en scène par des regards masculins et/ou étrangers. 

A l’écran sont montrées des femmes qui prennent leurs propres décision en toute autonomie [...] dans une société patriarcale qui tente de faire des femmes la propriété des hommes ou des belles-familles.

Cependant, dans Maîtresse, mettre les femmes en avant ne signifie pas portrayer des femmes parfaites. Les femmes, comme le rappelle le teaser de la série, sont aussi “capables du pire”. La série a pour objectif de dresser le portrait des qualités mais aussi des défauts de ces femmes, comme pour mieux décrire la société sénégalaise dans toutes ses formes.

Valorisation de la culture et du mode de vie sénégalais 

Les Sénégalais·e·s, hommes ou femmes, parents ou enfants, raffolent du feuilleton télévisé qui valorise la culture et le mode de vie sénégalais à travers des dialogues pour la majeure partie en wolof. Les actrices, qui portent pour la plupart leurs cheveux naturels, ne correspondent pas toutes au modèle de beauté dominant qui encourage les femmes à être minces et au teint clair. Dans un interview réalisé par Quartz Africa, la réalisatrice et productrice de la série Kalista Sy, explique : 

“Nous n'allions pas suivre la norme des émissions sénégalaises qui mettent principalement en scène des femmes qui ont éclairci leur peau. Nous voulions montrer les femmes d'une manière à laquelle le public ne s'est pas habitué à les voir à l'écran - en mettant l'accent sur la beauté naturelle de toutes les formes, nuances et tailles” Kalista Sy, réalisatrice et productrice de MDHM.

La série est un véritable plaisir pour les yeux tant les actrices principales sont toutes plus belles et élégantes les unes que les autres, habillées en des tenues conçues par des designers sénégalais tels Nunu et Sisters of Africa.


Ndeye Binta Leye (alias Lalla Piem Ndiaye)

Elle met aussi en valeur la beauté de la ville dakaroise et le dynamisme économique du Sénégal, à travers l'entrepreneuriat sénégalais et même panafricain. Par exemple, le principal sponsor de la série est l’entreprise immobilière SénéguIndia pour laquelle de nombreux personnages de la série travaillent. 

Une série sans tabous et qui crée le débat

La série met au centre de sa narration les préoccupations quotidiennes souvent passées sous silence à cause de la moralité religieuse dans le pays de la soutoura (pudeur en wolof). Maîtresse n’évoque pas seulement l’infidélité, mais aussi toute une panoplie de sujets importants comme l’amitié féminine, l’addiction, le viol, la dépression et l’éducation parentale, entre autres.

Cette façon de parler librement de tous ces sujets a suscité de vives polémiques au Sénégal car elle représente des femmes qui décident de leurs corps et de leur vie. C’est la réplique de Marème à son amie Amsa pour parler de sa liberté sexuelle, “Lima yorr mako mom kouma nexx lakoy diokh” (c’est à moi, je le donne à qui je veux) qui a valu à la série une plainte de l’ONG Jamra contre Marodi TV, déposée au Conseil national de régulation de l’audiovisuel pour “promotion de l’adultère et de la fornication”

Cette façon de parler librement de tous ces sujets a suscité de vives polémiques au Sénégal car elle représente des femmes qui décident de leurs corps et de leur vie

Susciter un éveil de conscience chez les Sénégalais·e·s 

Face à la polémique, la scénariste et productrice s’est défendue de vouloir bousculer les codes et dépraver les moeurs, mais plutôt d’inviter à une introspection. C’est d’ailleurs sûrement ce qui fait le succès de la série : sa capacité à parler des choses du quotidien pour créer un réel impact dans les consciences et les comportements des Sénégalais·e·s. Les acteurs ont parlé à maintes reprises de l’impact de la série sur leurs conceptions et comportements, comme Khalima Gaaji qui interprète le rôle de Marème Dial :

“Ce que je retiens de cette expérience, c’est que Marème Dial m’a permise de me valoriser en tant que femme. Aujourd’hui, je n’ai pas peur d’être encore célibataire, pas mariée ou de vivre ma vie pleinement. (...) Aujourd’hui, j'ai compris que je devais juste me valoriser pour être libre”, Khalima Gadji 

En clair, je recommande fortement cette série qui m’apparaît comme un souffle de liberté et d’émancipation de la jeunesse sénégalaise par rapport aux carcans fixés par l’ancienne génération. Elle dépeint une génération qui cherche à “faire le tri” entre les aspects positifs et négatifs des cultures africaines et occidentales pour une société plus empathique, juste et équitable.

Ysé Auque-Pallez, Rédactrice Cinewax 

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