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Nouveaux Talents #5: Johanna Makabi, créer de nouveaux imaginaires au cinéma

Johanna Makabi est une figure émergente du cinéma, reconnue pour sa capacité à mêler culture, identité et mémoire collective dans ses œuvres. Née à Paris de parents sénégalais et congolais, elle se distingue comme réalisatrice, scénariste et productrice engagée.

Johanna Makabi - interview cinewax - African movies _ Black cinema. Photo credit: Téné Niakaté.

Avec un parcours académique impressionnant et une implication active dans la promotion de la diversité, Johanna Makabi est une voix essentielle de la nouvelle génération cinématographique. Découvrez son parcours et son impact dans cet entretien exclusif.

 

Ismaël  : Merci Johanna pour cette entrevue. Pour commencer, qu'est-ce qui t'a poussée à t'orienter vers le cinéma ?

Johanna : Merci pour la question. J'ai toujours été une grande cinéphile, et j'ai grandi dans un environnement où les films étaient très présents. Je suis une «millennial», j'appartiens à la génération de MTV et des sitcoms. Mes parents travaillaient beaucoup, donc ma grande sœur nous gardait souvent, et elle adorait les films. On passait beaucoup de temps à louer des films au vidéoclub, et j'ai vraiment tout regardé très jeune, des films d'horreur aux comédies.

En grandissant à Paris, j'ai eu la chance de bénéficier de la politique culturelle en France, qui nous permettait, en tant que lycéens, d'aller facilement au cinéma pour voir des films d'auteur. Le cinéma est rapidement devenu un refuge pour moi, un lieu où je pouvais m'évader. C'est ainsi que mon amour pour le cinéma est né et que ma culture cinématographique s'est développée.

En poursuivant mes études en cinéma à la Sorbonne, j'ai rejoint des associations comme Cinewax, qui correspondaient à une quête identitaire que je menais à ce moment-là. Le cinéma m'a aidée à mieux comprendre mes origines et à découvrir des œuvres qui reflétaient l'histoire de mes parents et de mes ancêtres.

Ismaël  : Y a-t-il des réalisateurs ou des films qui t'ont vraiment marquée et qui continuent de t'inspirer aujourd'hui ?

Johanna  : C'est une question piège, j'aurais dû m'y préparer ! Mais il y en a tellement... Mes influences vont des sitcoms américaines que je regardais petite, comme Ma famille d'abord ou 7 à la maison, aux clips musicaux. En ce qui concerne les films, Malcolm X de Spike Lee, Billy Elliot de Stephen Daldry, F for Fake d’Orson Welles, Daughters of the Dust de Julie Dash et Get Out de Jordan Peele font partie de mes préférés. J’apprécie aussi beaucoup les œuvres d’Andrea Arnold et de Ken Loach, qui explorent des réalités sociales proches de la mienne. Le cinéma africain m’inspire énormément, avec des réalisateurs comme Ousmane Sembène, Djibril Diop Mambéty, ainsi que Mati Diop, Nuotama Bodomo et Wanuri Kahiu. Enfin, Les Temps modernes de Charlie Chaplin, le premier film que j’ai vu au cinéma, m’a laissée un souvenir marquant.

Ismaël  :  En tant que personne d'origine africaine, il n'est pas rare que les parents aient des réserves quant à une carrière artistique. Comment as-tu abordé cette discussion avec ta famille ?

Johanna  : Je viens d’un milieu assez particulier. Mes parents ont immigré à Paris dans les années 1980, plutôt dans le milieu étudiant et ouvrier africain de l’époque. Ils valorisaient beaucoup les études, mais ne m’ont jamais imposé de voie précise. Ils m’ont toujours dit de trouver ma propre voie, mais qu’il fallait réussir. Bien sûr, il y avait des inquiétudes, surtout quand j’étais encore étudiante en cinéma, mais ma mère voulait juste s’assurer que je pourrais subvenir à mes besoins. J’ai eu la chance d’être un peu laissée tranquille, étant l’enfant du milieu dans ma famille. Pendant longtemps, mes parents pensaient vraiment que je faisais des études pour devenir journaliste. Ce n’est que récemment, depuis que je vis pleinement de mon métier dans le cinéma, qu’ils sont moins inquiets et plus curieux de voir ce que je vais faire.

Nouveaux Talents #5: Johanna Makabi, créer de nouveaux imaginaires au cinéma

Ismaël  : Tu as suivi un parcours académique impressionnant dans le domaine du cinéma. Avec la montée de l'apprentissage autodidacte, comment évalues-tu l'impact de ces études sur ta carrière ? Recommanderais-tu cette voie à ceux qui souhaitent se lancer dans le cinéma ?

Johanna  : Tout dépend de ce que l'on veut faire. Personnellement, j'ai toujours eu une relation difficile avec l'école. J'ai eu des problèmes de dyslexie et d'autres difficultés dès mon jeune âge. Je n'avais pas prévu de faire autant d'études, mais j'ai terminé avec huit années d'études. Ma mère plaisante souvent en disant que j'ai étudié presque autant qu'un médecin.

Je pense que les opportunités viennent autant du travail que de l’éducation formelle. Travailler tout en étudiant m’a offert des opportunités précieuses. J’ai été bénévole chez Cinewax au début de 2015, j’ai travaillé dans un cinéma et j’ai assisté sur des tournages à la régie, au costume ou au casting. Le réseau est crucial dans ce milieu, et il peut se construire par divers moyens. Les écoles de cinéma peuvent ne pas être très diversifiées et leur admission peut être compétitive, ce qui peut rendre l'expérience difficile.

Ismaël  : Tu as mentionné que le cinéma t'a aidée à découvrir ton histoire et ta culture. Peux-tu nous parler de ton film Notre Mémoire et de ce qui t'a motivée à réaliser ce projet ?

Johanna  : J'ai eu la chance de  travailler sur le premier long-métrage de Maïmouna Doucouré, Mignonnes, après l'avoir rencontrée à une projection de Cinewax. J'ai été impliquée dans la production et la recherche d'actrices, notamment d’une femme noire âgée, ce qui était difficile à l'époque. Nous avons finalement réussi à caster Mbissine Thérèse Diop.

Notre mémoire (Johanna Makabi, 2022) - Un documentaire sur Mbissine Thérèse Diop de La Noire de - Ousmane Sembene

En rencontrant Mbissine, cette figure emblématique du cinéma, j'ai été fascinée par son histoire et ses anecdotes. J'ai ressenti le besoin de partager son parcours avec d'autres jeunes femmes noires. Notre Mémoire est un hommage à Mbissine et à toutes les femmes noires dans le cinéma souvent oubliées, en témoignant de leur impact et de leur histoire.

Même si le film ne dure que 12 minutes, j'ai utilisé les heures d'entretien pour créer une exposition à la galerie Selebe Yonn de Dakar, en montrant des archives et des images qui racontent son histoire.

Photo credit: Selebe Yoon: residency Johanna Makabi

 

Ismaël  : Ton engagement envers le collectif 50-50 témoigne de ton implication politique dans le cinéma. Pourquoi est-il crucial pour toi de contribuer à la diversité dans cette industrie ? Quels progrès as-tu observés depuis que tu as commencé à œuvrer pour cette cause ?

Johanna  : Il y a eu des avancées, surtout grâce à la pression des réseaux sociaux et des mouvements comme 50-50. Cependant, les progrès sont encore limités. La diversité à l’écran ne reflète pas encore assez la réalité de la population française ni l’histoire coloniale du pays. Il est crucial de s’impliquer pour obtenir des changements réels, non seulement pour la représentation, mais aussi pour les financements et la distribution des projets de personnes issues de la diversité. C'est pourquoi je crois qu'en tant que jeune femme réalisatrice et productrice, je dois être politiquement impliquée pour protéger mes droits et mes projets, et par extension ceux des autres.

Ismaël  : Peux-tu nous en dire plus sur Grâce, ton court-métrage qui sera présenté au BronzeLens Film Festival d'Atlanta le 21 août ?

Johanna  : Grâce est un court-métrage de 15 minutes tourné à Villeurbanne, près de Lyon. L’histoire suit une petite fille qui rêve de voyager dans l’espace, un rêve qui symbolise une quête d’évasion et de découverte. Ce projet m’est particulièrement cher, car il me permet de raconter des histoires souvent négligées dans le cinéma traditionnel. J’ai travaillé avec des enfants non professionnels pour capturer une authenticité et une fraîcheur que les acteurs plus expérimentés ne pourraient pas offrir.

Johanna Makabi GRACE - Short films

Ce film explore des thèmes tels que l’imagination, l’aspiration à un avenir meilleur et le contraste entre les rêves d’un enfant et les réalités de son environnement. Mon objectif était de créer un récit visuellement distinctif et émotionnellement résonnant qui met en lumière des voix et des expériences peu représentées.

En collaborant avec des artistes comme CrystalMess, j’ai pu expérimenter des éléments sonores qui ajoutent une dimension unique au film. Grâce est une occasion de tester des approches innovantes et de créer une œuvre qui engage le spectateur d’une manière nouvelle, tout en restant profondément ancrée dans la réalité du quartier et des jeunes qui y vivent.

Ismaël  : Quels sont tes projets futurs et les thématiques qui te passionnent actuellement ?

Johanna  : Je suis très connectée avec les États-Unis, le Sénégal et la France, et j’ai plusieurs projets que j’ai envie de réaliser dans ces territoires. En ce moment, je travaille sur la série Les Premières avec France Télévisions. Les Premières est inspirée de la vie des sœurs Nardal, qui furent les premières femmes noires à intégrer la Sorbonne dans les années 1920. Pour ce projet, je collabore avec Léa Mormin-Chauvac et Frédérik Folkeringa, deux auteurs martiniquais. Je coproduis également la série avec Sirens Films, la société de production que j’ai fondée avec ma sœur, dans le but de développer les jeunes talents du cinéma francophone de demain.

Ismaël  : Pour finir, quelle série regardes-tu en ce moment ? As-tu une série que tu binge watch ou que tu trouves réconfortante ?

Johanna  : En ce moment, je suis complètement accro à The Bear. Je trouve que c’est une série vraiment brillante, et je comprends pourquoi tout le monde en parle. En dehors de ça, je suis du genre à revenir à mes séries préférées. Récemment, j’ai revu I May Destroy You de Michaela Coel et Entourage. J’ai aussi regardé Emily in Paris. Même si elle est souvent critiquée, je crois qu’elle offre une belle échappatoire. Parfois, il est important de montrer la réalité, mais il est tout aussi essentiel de proposer de nouveaux imaginaires et de l’inspiration. Dans un monde où la réalité peut être très dure, les histoires et les rêves que nous créons peuvent offrir une lueur d’espoir et de beauté. C’est ce que j’essaie aussi d’apporter avec mon travail. Nous avons besoin de récits qui nous permettent de rêver et d’envisager des mondes meilleurs, que ce soit à travers la joie ou même la dystopie. Donc, en ce moment, j’ai vraiment envie de voir de belles choses et j’encourage tout le monde à réfléchir à l’aspect positif dans leurs propres créations.

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Ismaël Mallé - rédacteur Cinewax

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