Oscars vs César, la représentation des noir.es au cinéma
Les Oscars, cérémonie incontournable du cinéma hollywoodien, est connue pour ses sélections qui restent encore aujourd’hui très mâles, très hétéros, mais surtout, très blanches.
En effet, 12 Years A Slave de Steve McQueen (2013) et Moonlight (2017) de Barry Jenkins sont les seuls films de réalisateur noir à avoir obtenu ce prix, symbole d’une reconnaissance et d'une place légitime dans le monde du cinéma américain et sur la scène mondiale.
Au 20e siècle, il n’y a eu qu’une seule nomination pour un film composé d'un casting entièrement noir dans la catégorie “meilleur film” (Best picture), pour The Color Purple, adaptation du livre éponyme d'Alice Walker, réalisé par Steven Spielberg et dont la musique fut composée par Quincy Jones en 1985 (cette année-là c'est le film Out of Africa qui remporte le prix) et on devra attendre 2013 pour en voir une nouvelle avec 12 Years a Slave.
D’ailleurs, il est intéressant de constater que The Color Purple et Twelve Years a Slave traitent des sujets stéréotypés de la communauté afro-américaine, c’est à dire dans des rôles attendus par le public blanc américain.
En 2018, Black Panther et BlacKkKlansman (produit notamment par Jordan Peele et Spike Lee) étaient nominés dans la catégorie Best Picture - on notera que la nomination du film réalisé par Ryan Coogler, était portée par son producteur blanc Kevin Feige (p.g.a).
Cependant, depuis 2009, il y a eu six nominations de réalisateurs noirs dans la catégorie Best Picture. On pourrait se dire que l'académie des Oscars fait de plus en plus d'efforts pour se diversifier. Les représentants de l'industrie ont notamment exprimé un ras-le-bol généralisé, avec le phénomène du hashtag #Oscarssowhite lancée en 2015 par plusieurs comédiens et réalisateurs noirs, notamment Spike Lee, Will et Jada Pinkett Smith, Halle Berry et Kevin Hart.
Néanmoins, ces initiatives semblent se faire en vain, car cinq ans plus tard nous nous retrouvons les mêmes conditions de représentation. Derrière les coulisses on peut quand même apercevoir du mouvement.
Lionheart, de Genevieve Nnaji - bande-annonce
Cette année, les pays africains ont battu un record en déposant 10 films aux Oscars
Côté Afrique, cette année, les pays africains ont battu un record en déposant 10 films aux Oscars pour les nominations au prix de meilleur film étranger. Finalement c'est le film Parasite qui a remporté le prix (ce qui était attendu). La dernière fois qu’un film africain a gagné ce prix, c'était en 2006 avec “Totsi”, de Gavin Hood, un réalisateur sud-africain. En parallèle, le film nigérian Lionheart, de la réalisatrice Genevieve Nnaji, a été rejeté pour cette édition, car il n’était pas conforme à la règle selon laquelle “un film étranger ne peut être en anglais”.
Or, l’anglais est la langue officielle du Nigeria, conséquence de la colonisation. Ceci peut créer non seulement un fort sentiment de rejet et de destitution, mais aussi d’impuissance et de colère pour le public. On observe que les pays africains font un pas en avant énorme en déposant autant de films, mais qu'ils sont rejetés simultanément à cause de leur identité complexe. Cette situation révèle le problème plus profond de la relation entre les anciens colonisateurs et pays colonisés, les pays mêmes qui organisent ces prix, et qui aujourd’hui ne prennent pas en compte leur rôle dans cette histoire.
Un changement est actuellement en cours, sans être encore reconnu par les institutions du cinéma.
Les césar 2020 sur fond de scandale
Quelques mois plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, les César se sont déroulés avec l’affaire Polanski en arrière plan - on rappelle que le réalisateur, accusé de viols et attouchements sexuels sur mineurs dans plusieurs affaire, a été nominé dans 12 catégories.
La cérémonie a fait le buzz dans les médias principalement pour le prix fortement contesté accordé à Roman Polanski, pour son film J’accuse (prix du meilleur réalisateur). En réaction, l’actrice Adèle Haenel est sortie de la salle devant des millions de téléspectateurs, accompagnée de la réalisatrice Céline Sciamma et d’autres membres de l’académie.
“On est une famille, on se dit tout, non?"
Un moindre buzz a été lancé par le discours courageux et inattendu de Aïssa Maïga lors de la remise du prix du meilleur espoir féminin. Elle a pris la parole et a dénoncé immédiatement le manque de personnes noires dans la salle, ainsi que le manque d’action de la part des personnes non-racisés pour valoriser la représentation des artistes noirs.
“On est une famille, on se dit tout, non? Vous tous qui n'êtes pas impactés par les questions liés à l'invisibilité, aux stéréotypes ou à la question de la couleur de la peau...La bonne nouvelle, c’est que ça ne va pas se faire sans vous. Pensez l’inclusion. Ce qui se joue dans le cinéma français ne concerne pas que notre milieu hyper privilégié, cela concerne toute la société, n’est-ce-pas monsieur qui est sur votre téléphone portable là?”
Un silence énorme est resté tout au long de son discours. Et les réponses de certains médias furent vagues pour tenter de décrire le malaise du public et d’Aïssa Maïga elle-même, transformant son discours porteur de vérité, en fait divers étrange et déplacé.
Ce traitement de l'information témoigne d'un désintérêt réel de la part de ces cérémonies, vis-à-vis des communautés noires et africaines. Ces espaces de visibilité sont pourtant essentiels pour leur représentation dans le monde entier, et capables de promouvoir un changement profond au sein de l’industrie du cinéma.
Sur une note plus positive, le film Les Misérables de Ladj Ly a gagné le prix du meilleur film, marquant l'histoire en étant le deuxième réalisateur noir à recevoir un tel prix (Abderrahmane Sissako l’avait gagné en 2015). Cependant, le reste des nominations étaient encore une fois exceptionnellement blanches. On notera aussi, côté africain, que le film Atlantiques de Mati Diop a été quasiment absent des nominations, alors que le film a reçu le Grand Prix à Cannes.
Et le rejet du film Lionheart qu’on pourrait interpréter comme politiquement correct et nécessiterait un vrai débat et une remise en question des règles de sélection de ces cérémonies. En effet, ces systèmes qui ont étés mis en place par des blancs, pour un par un public blanc, semblent avoir du mal à gérer et à inclure des films et des artistes qui n’en font pas parti. Surtout quand la représentation dans ces films ne font partie des stéréotypes d’histoires noires. 12 Years A Slave, un film sur l’esclavage, est le seul film d’un réalisateur noir à avoir gagné le prix du meilleur au film aux Oscars, et Lupita Nyong’o a reçu le prix de meilleur actrice dans un second rôle alors que pour sa performance excellente dans Us, un film qui ne traite de sujet ‘noir’, elle n’a même pas été nominé.
La victoire des Misérables aux Cesar 2020, et les nominations de films africains et noirs aux Oscars de plus en plus nombreuses marquent-elles vraiment un signe de changement, ou vont-elles rester une autre de ces raretés dans les Festivals et cérémonies internationales?
Eliana, Rédactrice Cinewax