Supa Modo, une super héroïne kenyane à l'écran !
Présenté en avant-première à la soirée de lancement du Online African Film Festival (OAFF) le 8 novembre 2019 à Paris, Supa Modo est le premier long-métrage du cinéaste kenyan Likarion Wainaina, réalisé en 2018. L’histoire met en scène Jo, une petite fille de 9 ans fan de super-héros. Atteinte d’une maladie incurable diagnostiquée en phase terminale, elle rentre dans son village auprès de sa mère et de sa sœur pour y vivre ses derniers mois. Lucide, elle voit et comprend tout ce qui lui arrive mais sa maladie ne l’empêchera pas de réaliser son rêve : devenir une super héro.
Crédit photo : https://supamodo.com/
Le pouvoir de l’imagination
Jo n’a plus que 2 mois à vivre lorsqu’elle retourne dans le village natal de Maweni aux côtés de sa sœur adolescente rebelle Mwix et de sa mère très protectrice, Kathryn. Grande fan de Bruce Lee, de Man of Steel, et de tous les autres super-héros, son rêve le plus cher est d’avoir des super pouvoirs comme Supa Modo.
Supa Modo est une poupée qu’elle ne quitte jamais. C’est le super-héros qu’elle s’est créé, une extériorisation de son invincible désir de vie et de rêve. Mwix l’a vite compris et elle met tout en œuvre, avec la complicité du village, pour offrir à Jo l’illusion d’avoir de vrais super pouvoirs. À ce titre, la séquence du vol de sac est impressionnante : Jo utilise son cri puissant pour stopper le voleur et tous les villageois présents sur la place du marché se figent en même temps. Ce dispositif de mise en scène nous fait basculer dans un autre espace-temps qui est un autre fil rouge du film, celui de la solidarité collective.
Cependant, Kathryn, la maman de Jo, n’est pas décidée à accepter que Jo prenne des risques pour sa vie en dehors de la maison. La grande maturité et l’humilité de Jo auront raison des inquiétudes de sa mère et des jeux de rôles improvisés par Mwix pour faire plaisir à sa petite sœur. C’est avec l’accord des représentants et porte-parole du village que Kathryn reçoit le soutien, la participation et le financement du tournage d’un film de super-héros dont l’actrice principale n’est autre que Jo. Son rêve prend vie : devant la caméra elle se transforme en Supa Modo.
La performance de Stycie Waweru est à la hauteur de cette double incarnation. Elle irradie l’écran tant elle investit toutes les nuances du personnage.
SUPA MODO Trailer from One Fine Day Films & Ginger Ink on Vimeo.
Le septième art : miroir du présent et réappropriation du passé
Le film est construit sur plusieurs mises en abîme. D’abord, il y a un film dans le film. Le film, qui met en scène Jo en véritable Supa Modo délivrant des enfants capturés par une mage noire terrifiante, est le rêve devenu réalité. L’équipe technique et les comédiens du film sont la mère, la sœur, les villageois sans oublier Mike à la caméra et Pato à la prise de son. Quand Jo meurt, ce film n’est plus qu’un pâle souvenir que Mwix décide de raviver.
La seconde mise en abîme est celle du cinéma africain qui s’invente et prend sa place dans le cinéma mondial à égalité avec les autres cinémas. C’est un des sens que l’on peut donner aux répliques lancées par le réalisateur Mike : « Amateurs ». Son envie de conquérir Hollywood est tournée en dérision par la construction habile des dialogues comme un pied de nez fait aux préjugés.
Crédit photo : https://supamodo.com/
En réalité, le film de Likarion Wainaina n’a rien d’un cinéma d’amateur et n’a rien à envier aux grosses productions américaines. Avec une histoire intime et modeste, le scénariste et le réalisateur réussissent à traiter des sujets qui dépassent le récit cinématographique.
À travers l’humilité, l’intelligence et la délicatesse d’une petite fille de 9 ans, c’est toute une jeunesse qui peut s’identifier à elle et à sa volonté de persévérer dans la vie jusqu’aux derniers instants peu importe notre héritage et les obstacles.
Supa Modo nous rappelle que même lorsque les héros meurent, ils continuent d’inspirer les autres longtemps après leur départ.
Ce film est une lettre d’amour au pouvoir de l’évasion, une lettre à la fois brutale et belle, mélancolique autant que joyeuse. C’est aussi un portrait qui dépeint le chagrin déchirant d’un drame familial au Kenya en défiant les stéréotypes.
Un exemple d’ubuntu
La définition d’ubuntu dit ceci : « Quelqu’un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, car il a conscience d’appartenir à quelque chose de plus grand ». Ne pourrait-on pas définir un super-héros de la même façon ?
Voilà la puissance du scénario : il peint une chaîne de super-héros qui fédèrent leurs forces et leurs rêves afin que chacun vive la vie qui lui appartient et enrichisse la vie de la communauté.
Cette chaîne commence avec la mère de Jo, une héroïne dont le pouvoir magique est d’aider les femmes à mettre au monde leurs enfants. Mwix, sous les traits de la sublime Nyawara Ndambia, quant à elle, se sert de son imagination et de la mise en scène pour rendre le quotidien de Jo magique. Mike, incarné par le génial Johnson Fish Chege, concentre ses super pouvoirs dans l’art de manier la caméra et sa voix. Les représentants du village s’identifient aux parents proches de Jo, c’est pourquoi ils sont prêts à réaliser ses derniers rêves.
La tristesse qui colore chaque séquence est aussitôt diluée dans un bain d’humour qui rapproche les spectateurs de l’énergie de chaque personnage. Preuve que le réalisateur possède lui aussi un super pouvoir, celui de nous faire pleurer avec le sourire.
Seul bémol que le film peut contenir est la référence au super-héros uniquement masculins, aucune super-héroïne de fiction n’est mentionnée. Peut-être est-ce encore une volonté du réalisateur : faire de Jo ‘Supa Modo’ la première héroïne de fiction kényane à dimension universelle.
Supa Modo a remporté le premier prix dans la catégorie « Long métrage international » à Tokyo au Festival international du film pour enfants KINEKO Tokyo.
Retrouvez le film Supa Modo sur notre plateforme OAFF (Online African Film Festival) https://player.oaff.watch/
Sidney Cadot-Sambosi, rédactrice Cinewax